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20/04/2002 à 23h06
Raves de printemps, la saison des saisies
La loi n'est pas encore en vigueur, mais la police s'active.
BERNIER AlexisECOIFFIER Matthieu
Ravers, prenez garde, l'offensive de printemps a commencé. Ces dernières semaines, les saisies de matériel de sonorisation se multiplient, discrètement mais fermement. Et le gouvernement précipite l'examen, prévu le 30 avril, par le Conseil d'Etat du décret d'application de l'article «antirave» de la loi de sécurité quotidienne.
Ce document que Libération s'est procuré (lire ci-dessous) va donner un cadre juridique aux «mises sous scellés» déjà fréquemment ordonnées par la justice. De quoi faire preuve de fermeté, dans une campagne où Jospin préfère mater les jeunes teufeurs plutôt que de prêter le flanc à des accusations de laxisme. Alors que la saison d'été des teknivals (ces festivals techno sauvages qui peuvent rassembler jusqu'à 30 000 ravers) débute, les pouvoirs publics ont choisi la sévérité. «L'arsenal doit être applicable début mai», confirme-t-on au gouvernement. Avant même son entrée en vigueur, la répression est lancée sur le terrain. Une manifestation sonore et itinérante de protestation doit se dérouler aujourd'hui, à 14 heures, dans les rues de Rennes.
Point de chute. «Depuis un mois, on a dénombré onze saisies», révèle Jean-Marc Priez, président de l'association de prévention Technoplus. Chaque week-end apporte son lot d'affaires, et certains procureurs n'hésitent plus à déployer les grands moyens. Le lundi 8 avril, pas moins de 120 gendarmes en tenue antiémeute, dont certains héliportés, ont investi une clairière de la forêt de Paimpont, près de Rennes, où une centaine de ravers dansaient encore. Et raflé amplis et disques. «On se serait cru à Gênes pendant le G 8», raconte un membre d'Oxyde, le «sound system» organisateur de cette fête qui avait attiré près de 10 000 personnes. Motifs : agression sonore réitérée et mise en danger de la vie d'autrui. Derrière ces chefs d'inculpation disponibles bien avant le vote de l'article antirave, se cache toujours le même reproche : l'absence de déclaration préalable aux autorités locales. «Et pourtant, on avait demandé un terrain deux mois avant», s'étonnent les Oxyde. Ce qu'on confirme à la préfecture où l'on a l'habitude d'accueillir ces fêtes clandestines en marge des Transmusicales de Rennes : «Sauf que le terrain que nous avions prévu s'est avéré inutilisable à cause des problèmes de sécurité routière liés aux vacances de Pâques. Les ravers s'imaginent toujours que c'est simple pour nous de trouver un site.» Résultat, deux jours avant la fête, la préfecture informe les organisateurs qu'ils n'ont pas de point de chute. Trop tard : «Certains participants italiens étaient déjà en route. On a décidé de se rabattre sur Paimpont où on avait déjà fait une "free" [petite fête gratuite, ndlr] sans problème.»
«Champ bien sec.» A Vignoux-sur-Barangeon (Cher), le week-end dernier, sept «sound systems» ont été «mis sous scellés» par la gendarmerie. «On y était allés en confiance. Depuis dix ans, il y a une fête off en marge du Printemps de Bourges, mais c'est la première fois qu'il y a une saisie», raconte Séverine, mise en examen pour «tapage diurne et nocturne» : «On rêve, c'était un champ bien sec et loin de tout, à trois bornes de toute maison !» Ces affaires ne sont pas les premières. «Mais, jusque-là, seuls les "sound systems" trop actifs tombaient à la suite d'une longue enquête policière. Aujourd'hui, il n'y a plus de règles : celui qui organise sa première fête peut être arrêté, tout dépend de l'ardeur des autorités locales», explique Lionel Pourteau, une des figures du mouvement.
«A ce rythme, il n'y aura plus de raves d'ici un an», prédit Jean-Christophe Tymoczko, avocat en charge du dossier Paimpont. Et de suspecter «une initiative concertée ou des instructions pour inciter les procureurs à la fermeté avant même que le décret d'application ne soit sorti». Selon l'article 23 de la loi sur la sécurité quotidienne votée en novembre, faute de déclaration préalable de la fête, la justice peut ordonner la confiscation du matériel de sonorisation. Si le débat au Parlement avait déclenché une polémique sur la dérive «antijeune» d'un article vécu comme «liberticide», l'accouchement du décret d'application a été laborieux. Sa mouture actuelle laisse perplexes bien des acteurs du dossier, y compris au sein du gouvernement : «Les jeunes doivent déposer un mois avant un énorme dossier. Est-ce que les trois copains organisateurs de "free" le week-end vont pouvoir répondre à un tel niveau d'exigence ? Ou préférer s'enfoncer dans la clandestinité ? Il n'est pas impossible que ce décret atteigne son objectif non avoué : dissuader.»
«Maturité.» Du côté du ministère de la Culture, on se veut plus optimiste : «Ce cadre est trois fois moins contraignant que celui imposé aux professionnels du spectacle. Si le milieu "free" avait fait preuve de plus de maturité politique, il aurait sans doute été plus adapté. Dans chaque département, les services de la culture veilleront à ce que ce texte ne soit pas interprété de façon uniquement répressive. Mais si la droite passe, tout se durcira.» Chez les teufeurs, on se prépare déjà au traditionnel teknival du 1er mai. L'année dernière, il avait déclenché la fronde antirave des députés. Cette année, vécu comme un baroud d'honneur, il a la bonne idée de tomber entre les deux tours de la présidentielle.